Tout s’inscrit dans le pied, non pas notre corps comme dans l’iris ou l’oreille, mais toute notre histoire, l’histoire de notre famille sur plusieurs générations, nos souffrances et nos difficultés à être. C’est ce qu’a découvert Michel Charruyer, qui a été podologue à Annecy.
Mettre du sens, de la conscience sur ce pied l’obsédait, alors il a écouté ses patients et mis en relation leur ressenti par rapport aux événements de leur vie, le diagnostic médical précis et la trace qu’il constatait sur l’empreinte du pied.
Pour un podologue classique, un pied qui souffre est victime de phénomènes extérieurs (chaussures inadaptées, mauvaise posture, etc..) qu’il faudra corriger, par exemple avec des semelles sur mesure.
Pour Michel Charruyer chaque partie du pied, os, tendons, muscles, chaque déformation, malformation, tâche sur l’empreinte a une signification, chaque incident révèle une faille. Il a compris que l’être humain n’était que du subjectif et que l’empreinte des pieds dressait une cartographie de son inconscient.
Tout d’abord il est important de comprendre le sens général de la symbolique du pied et considérer toutes ses pathologies par rapport à lui : Le pied nous parle de déplacement, de mouvement, d’action et de notre relation avec le futur (le pied nous permet d’aller de l’avant). Il nous parle aussi de territoire, une notion essentielle pour le corps.
Nous nous croyions civilisés mais notre corps réagit comme il le faisait dans les temps préhistoriques.
Notre cerveau pense en termes de survie, et pour lui il n’y a ni temps, ni espace. Nos ongles sont des griffes et servent à nous défendre, à prendre, à serrer. De même nous ne pensons pas famille mais « clan » et à ce clan il faut un chef. S’il est inconsistant, le clan est en danger, etc…
Cependant, il ne s’agit pas de faire du décodage de comptoir et d’apprendre par cœur un « dictionnaire du pied » (ton pied a ceci, ta souffrance est celle-là) – un dictionnaire ne résout rien – mais de saisir l’opportunité du sens pour permettre à une émotion de se révéler, de s’extirper du labyrinthe intérieur.
Mais avant cela il faut trouver l’événement programmant et inlassablement Michel Charruyer enquête, écoute, accompagne. Il dresse même l’arbre généalogique s’il y a besoin d’approcher le projet/sens de l’enfant devenu adulte, le message qui a été inscrit en lui dès sa conception comme un programme pervers, un bug.
Hallus valgus, la bosse sur le pied qui se trouve sur la gauche. Pour cela il faut poser des questions, induites par l’information recueillie sur l’empreinte du pied, comme par exemple pour un Hallux Valgus « Quelle est la plus grande injustice que vous avez vécue ? », pour une maladie de Raynaud (extrémités froides et douloureuses) « Qui est mort sur la route en rentrant à la maison ? », ou encore si vous puez des pieds « Qui rode ou a rodé autour de vous, qui est le prédateur ? »(1) et laisser le ressenti s’exprimer.
Nous portons le poids des générations précédentes. Des chercheurs de l’Université de Genève ont analysé le sang de personnes ayant subi des traumatismes. La maltraitance et le viol ne laissent pas que des traces psychiques : elles laissent aussi des cicatrices sur l’ADN qui se transmettent jusqu’à trois générations ou plus. Et c’est la troisième génération qui a la trace la plus importante…
Entrer en résonance avec ce qui est exprimé dans le pied, travailler cette charge, recréer le ressenti afin d’amener une véritable prise de conscience, c’est le travail thérapeutique que propose Michel Charruyer. Un décodage, ça ne se donne pas comme ça, d’un seul coup, sinon il ne ferait que l’effet d’une « prise de connaissance ».
Un décodage, ça s’accouche… Il faut lentement tourner autour, avancer pas à pas, laisser monter les émotions et, quand c’est le moment, laisser émerger la prise de conscience (qui est biologique parce que suivie d’un acte)(2). Aussi, il n’hésite pas à pousser ses stagiaires dans leurs retranchements, à les mettre face à leurs peurs, à les pousser à affronter leur colère, leurs désespoirs cachés sous des couches de vernis, de compromissions avec eux-mêmes et de certitudes plantées sur des sables mouvants. « On guérit dans la réalité, pas dans le déni », dit-il.
Nous sommes une quinzaine de femmes entre 30 et 65 ans, la plupart réflexologues plantaires ou podologues, venues chercher un plus pour leur pratique, un sens à ce pied sur lequel elles travaillent tous les jours. Et aussi, elles viennent pour rencontrer Michel Charruyer dont on leur a tant parlé.
Avant de commencer, Chantal prend l’empreinte de nos pieds. Lorsque c’est mon tour elle lance « Elle est parfaite ! » j’avoue que j’ai eu un peu d’étonnement, une empreinte parfaite ? Moi qui croyais avoir des problèmes comme tout le monde ! En fait, mon empreinte était parfaite dans son imperfection : aucune bande externe pour relier mon talon à l’avant de mon pied, pas même une petite ombre.
J’apprendrai dans le courant du stage que c’est le signe d’une absence de père, de mémoire familiale de fille-mère, et que la difficulté dans ce cas était de s’affranchir de l’emprise de la mère. Quant à mon talon « en goutte d’eau », c’est le signe d’une tristesse récurrente. « Ta mère était dépressive ? » me demande Michel, « Il y avait une Marcelle dans ta famille ? ». Allons bon, les prénoms aussi ont un sens ! Marcelle = mémoire familiale de dépression… Je suis démasquée.
Nous avons passé 4 jours à traquer les LFI (Loyauté Familiale Inconsciente) mais aussi les BRPC (3), parce qu’en plus, en dehors des moments où tout le monde pleure, on rit beaucoup. Oui, on pleure parce que c’est très intense, chaque blessure de l’autre renvoie à la notre mais aussi à chaque libération d’une émotion enfouie en l’une de nous, on renaît.
« La famille n’est pas un lieu d’amour » dit Michel Charruyer, j’ai mesuré pendant le stage toute l’ampleur de cette vérité qui m’avait offusquée dans un premier temps.
Toutes ces femmes broyées par un père présent mais absent, ou autoritaire, ou une mère indifférente, par les abus de toutes sortes (sexuels, de pouvoir, de confiance…), tant de violence faites aux femmes…. Est-ce que toutes les femmes portent cette même souffrance que j’ai vu s’étaler là ? Est-ce que tous les stages de Michel Charruyer ont tous la même intensité ?, Est-ce le fait de s’intéresser au pied qui draine une certaine sorte de personne ? Je crois que cela tient en fait à la personnalité thérapeutique de Michel Charruyer, à sa capacité à identifier le nœud du problème comme un aigle aperçoit une souris qui gambade dans la prairie et à nous accompagner de sa présence puissante et bienveillante pour en passer le seuil… et cela ne se fait parfois pas sans peur et sans larmes.
Je ne m’étendrai pas sur S. à qui Michel Charruyer, au cours d’un rituel symbolique particulièrement saisissant, a fait faire enfin un choix entre la Vie et la Mort, vous savez, la petite mort quotidienne, celle de l’attente désespérée de la reconnaissance, de l’amour de l’un de ses parents « tant que l’on est dans l’attente, dans la lutte, on est dans la mort », dit-il. Ni de J., mariée, et qui refusait de porter le nom de son mari, préférant garder celui de son père. Ni de F. à qui il a donné quelques miettes de gâteau qu’elle a mangé avec gratitude : lorsqu’on a été abandonnée, on est heureuse de recevoir la moindre miette… Ne nous accommodons de rien… plus jamais de miettes !
F. vouait une grande admiration pour sa mère, décédée il y a quelques années. Celle-ci avait été résistante pendant la guerre. Elle transportait des faux papiers d’identité dans la doublure de son imperméable pour les apporter à d’autres résistants ou à des juifs. Elle a été arrêtée, torturée, elle n’a pas parlé…
A l’âge de 14 ans, F. part en Angleterre en voyage éducatif. Un jour, elle se trouve sur le port avec le groupe de jeunes dont elle fait partie. Il y a des tuyaux de pipe-line, elle s’assied sur l’un d’eux. Mais il n’est pas stable et se met à rouler, lui écrasant le talon. Aujourd’hui F. a la cinquantaine, elle a été opérée maintes et maintes fois, sans succès : son talon se trouve à quelques centimètres du sol. Elle marche en s’appuyant sur l’avant du pied. Tous les jours, elle doit se faire un pansement autour du pied, une plaie ne s’est jamais refermée.
Le talon, c’est les projets, ce que l’on a dans la tête. Or, la mère de F. était résistante, elle ne devait pas parler, personne ne devait connaître ses projets, tout devait rester secret… C’est le message qui s’est inscrit dans son ADN : « Si je n’ai pas de talon, personne ne pourra connaître mes projets… ». Et pourquoi en Angleterre ? … L’Angleterre, pendant la guerre… De Gaulle… la résistance… c’était pour F. le lieu idéal pour déclarer sa L.F.I (Loyauté Familiale Inconsciente).
Parmi toutes les stagiaires, il y en avait une qui était particulièrement intériorisée, la tête rentrée dans les épaules. On avait toutes envie qu’elle se redresse, qu’elle s’ouvre, nous sentions une telle souffrance en elle. Mais elle ne parlait pas, elle restait recroquevillée sur elle-même.
Le dernier jour elle demande de l’aide, enfin. Elle raconte sa peur du monde extérieur, continuelle, et particulièrement celle des terroristes qui s’est aggravée depuis les derniers événements. Elle fait même des rêves récurrents où des terroristes cagoulés interviennent et massacrent tout le monde. Cette peur, elle l’a repassée à une de ses filles qui ne va pas très bien.
Michel Charruyer, qui a déjà décodé son empreinte de pied lui demande de parler de sa famille, de sa mère, de l’histoire de sa naissance. La mère de M.G a été élevée par une mère maltraitante. A 16 ans, elle rencontre un jeune homme de bonne famille et tombe enceinte. Elle n’est pas considérée comme « assez bien » par la belle famille et le jeune homme est contraint de l’abandonner. De cette union contrariée naîtra M.G.
Quel rapport avec les terroristes ? Il faut chercher qui ne montre pas son visage dans la famille de M.G. Les « terroristes » sont ses grands-parents du côté de son père, ceux qu’elle n’a jamais connus (on ne voit pas leur visage) et qui, un jour, sont arrivés dans la vie de cette famille et ont tout massacré…
De décodages en décodages nous avons avancé pendant ces 4 jours de stage et nous ressortons toutes de là renouvelées, riche de compréhension sur nous-même et de savoir : Michel Charruyer nous a initié au sens du pied, à son langage. La dernière renaissance fut celle de E. que sa mère et toute sa famille n’avait jamais écouté. Michel s’est assis en face d’elle et lui a pris les mains. « Je t’écoute »…
Et nous voilà dans les bras les unes des autres, pleurant, souriant, s’étreignant… toutes différentes et à la fois si semblables… tant de passages et tant de renaissances… que d’amour !
Que d’amour… Merci Michel… Florence
1) Bromidrose, c’est le terme scientifique élégant pour dire que vous puez des pieds !. La bromidrose, c’est le conflit du putois ( !). Le putois envoie de mauvaises odeurs pour éloigner un danger, en général un prédateur. Dans notre réalité humaine, le prédateur c’est quelqu’un qui veut abuser de nous d’une quelconque façon, mais souvent sexuelle.
2) Freiner en voiture lorsqu’on voit un danger est une prise de conscience biologique suivie d’un acte.
3) BRPC « Bonne Raison Piège à Cons » comme par exemple : « C’est ma grand-mère qui m’a élevé parce que Maman travaillait. »…
Michel Charruyer a été podologue mais il est aussi osthéopathe et diplômé en médecine chinoise. Il a travaillé avec Jodorowski.
Il se considère maintenant comme un « écoutant et un accompagnant du pied ». Il consulte à Annecy et propose des stages dans toute la France